Et si la moitié blanche d’Obama l’empêchait de voter pour lui-même ?

On glose beaucoup en ce moment sur la portée de l' »effet Bradley » dans les urnes le 4 novembre. « Effet Bradley », pour les nuls : des électeurs blancs affirment aux sondeurs qu’ils voteront pour Barack Obama pour ne pas paraître racistes mais dans le secret de l’isoloir ils choisiront John McCain parce que candidat blanc. Jon Stewart, le génial présentateur de l’émission politique satirique « The Daily Show« , a posé cette question à Barack Obama mercredi soir : « Votre mère vient du Kansas, elle est blanche ; votre père est Africain : vous n’avez pas peur que dans l’isoloir, votre moitié blanche soudainement décide ‘non, je ne peux pas faire ça !’ ? » Ce à quoi Obama a répondu avec beaucoup d’ironie, bien décidé à montrer qu’il n’attache aucune importante à cet « effet Bradley » : « Oui, vous avez raison, c’est un vrai problème. Je suis d’ailleurs une thérapie pour être certain de voter comme il faut le 4 !« .

Extrait de l’interview sur « Huffington Post« 

L’interview, exclusive, faisait suite à la demi-heure de spot publicitaire que Barack Obama s’était offerte en prime time sur les plus grandes chaînes de TV, pour la rondelette somme de 3 millions de dollars (5 millions, disent même certains experts). Loin du ton lyrique et compassionnel de son spot (une vraie guimauve, l’indigestion guettait), Barack Obama a joué le jeu du « Daily Show » : décontract, drôle et grinçant. A Jon Stewart qui lui rappelait que certains s’inquiètent fortement du « socialiste » Obama (un très gros mot ici, comme « marxiste », « terroriste », « sorcière »…), Barack a fait cet aveu : « A l’école maternelle déjà, je partageais certains jouets avec mes copains, c’est clairement un signe prouvant mes activités subversives« .

Jon Stewart, qui n’en rate pas une, lui a enfin posé cette question : « Quand vous êtes parti en campagne il y a deux ans, le pays ne ressemblait pas tout à fait à celui qu’il est aujourd’hui. Devant la situation actuelle, vous ne vous dites pas ‘Non merci, je n’en veux plus’, un peu comme si vous réclamiez une voiture neuve ? » Là, Barack Obama a repris tout son sérieux et sa solennité : « Non, je me dis que c’est le moment idéal pour devenir président ».

Ca m’a rappelé la couverture de Newsweek qui titre cette semaine : « Cauchemar sur Pennsylvania Avenue » (l’adresse à Washington de la Maison Blanche). En effet, devant les problèmes, graves et nombreux, que rencontre le pays, pas sûr que le prochain président fassent souvent de beaux rêves.

On s’affiche !

Ici en politique, rien n’est décidement comme chez nous. Alors qu’en France, le sentiment partisan est une affaire très privée (avez-vous la moindre idée de ce qu’a voté votre voisin en 2007 ?), aux Etats-Unis, on s’affiche au grand jour, devant sa porte. Il suffit d’une petite balade dans les rues de n’importe quelle ville pour le constater. Bon, je vous l’accorde, sur cette photo, c’est particulièrement exagéré. On ne peut même plus faire griller les burgers dans le jardin. De toute façon, John McCain ne serait pas convié au pique-nique.

Pour info, Robin Carnahan (au deuxième plan) est la candidate démocrate au poste de secrétaire d’Etat dans le Missouri. Le 4 novembre, on ne vote pas seulement pour le candidat à la Maison Blanche mais aussi pour les élus locaux, certains référendums et renouveler en partie le Congrès à Washington. En attendant, ce sont les citrouilles d’Halloween qui trinquent.

Un McCain sauce barbecue, please

Quand John McCain vient en tournée électorale à Columbia, Missouri, il évite soigneusement le centre-ville, rempli de jeunes Démocrates. Où s’arrête-t-il alors ? Sur la zone commerciale, entre deux voies rapides, accessible seulement en voiture. Et que fait-il ? Il prend un lunch très informel avec des chefs de petites entreprises locales dans le « restaurant » le plus glauque de la zone, le simplement nommé « Buckingham Smokehouse Bar-B-Q« . La table à la fenêtre avec sa banquette rouge sera par-faite. Au menu, des gros haricots et du « coleslaw » (salade à base de chou cru). La sauce barbecue, bien sûr, est sur la table, avec ketchup et mayo. Faites pas trop gras, après je lutte pour perdre mon embonpoint.

Le cochon de Buckingham

Katie Fudge, la jeune employée de 20 ans qui a eu l’honneur de servir le candidat lundi dernier, a confié au journal local, le Columbia Missourian, qu’elle était un peu nerveuse mais que John McCain avait été « très, très sympathique » et qu’il s’était conduit comme une personne tout à fait normale. « Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler beaucoup », a-t-elle admis. Elle s’est dit moins excitée que son grand-père quand il apprit la nouvelle, lui qui a servi l’armée américaine en Corée sous les ordres de McCain père. On le comprend. Le patron du resto n’avait pas grand chose à dire non plus, si ce n’est qu’il reconnaissait avoir nourri ce jour-là « des gens plus intéressants que d’habitude« . Les habitués de « Buckingham Smokehouse Bar-B-Q » apprécieront.

John McCain, au salut très bushien

Les 150 supporters de John McCain qui attendaient, pancartes à la main, le candidat à la sortie de son festin, n’ont pas été déçus. Ils ont vu leur héros 2 minutes 30, le temps qu’il regagne sa voiture. Les plus chanceux sont parvenus à lui serrer la main, parfaitement propre. Debbie Jones, employée dans une compagnie d’assurance, n’a pu qu’effleurer son bras mais ah qu’elle était contente. Elle reste très optimiste sur l’issue du scrutin et d’ailleurs, elle ne croit pas du tout aux sondages qui donnent Barack Obama gagnant. N’ayant elle-même jamais été sondée, elle se demande qui sont les gens interrogés et où on est allé les chercher. « Ils peuvent très bien dire qu’ils sondent et en fait inventer les chiffres ». A Buckingham, rien n’était inventé. On était dans le vrai du Midwest.

Debbie Jones, à l’endroit

Photos : Mélissa Bounoua

« La mauvaise conscience de l’Amérique blanche »

Voilà un reportage que j’aurais aimé faire, si j’avais une voiture pour aller me perdre dans les comtés ruraux très conservateurs du Missouri. Publié dans le « Journal du dimanche » le 19 octobre par un envoyé spécial dans le Missouri, et désormais en ligne.

Pour patienter avant mon post sur les militants républicains que j’ai rencontrés à l’occasion de la venue lundi à Columbia de John McCain himself.

« La mauvaise conscience de l’Amérique blanche » par Antoine MALO

Noirs en eaux troubles

Trouble the Water Movie Poster

Tout Missouri qu’est Columbia, la ville du Midwest américain accueille chaque année Citizen Jane, un audacieux festival de film de femmes réalisatrices (un peu comme à Créteil, en petite couronne parisienne). A moins de trois semaines de la présidentielle, le film qui faisait l’ouverture cette année était on ne peut plus politique. « Trouble The Water » de Tia Lessin and Carl Deal (ce sont les producteurs de Michael Moore et Carl n’est étonnamment pas une femme) est un documentaire sur les ravages de l’ouragan Katrina qui dévasta la Nouvelle-Orléans, Louisiane, en septembre 2005.

On se souvient de la désastreuse gestion de la catastrophe par l’administration Bush qui contribua largement à l’impopularité grandissante du président lors de son second mandat. Le documentaire, qui a reçu le Grand Prix du Jury à Sundance (festival du film américain indépendant) est une démonstration puissante de l’abandon d’une population par son gouvernement dans le pays le plus riche de la planète. Il adopte un point de vue original, celui des victimes de la catastrophe qui, armées de leur petite caméra DV, filment et témoignent en direct de ce qu’il se passe. Le documentaire reprend en effet de longues séquences réalisées par deux vidéastes amateurs, impressionnants d’énergie et de conscience citoyenne. L’image est souvent laide, la caméra tremble beaucoup, mais cela n’a que peu d’importance ; au contraire, le procédé accentue l’idée du chaos qui s’empare de la ville et de ses habitants laissés à eux-mêmes. Par moment, on se prend à croire que l’on est face à un reportage désolant sur un pays pauvre d’Afrique.

Cette impression est accentuée par le fait que les victimes de Katrina sont noires et cela bien sûr prend toute son importance aujourd’hui, quand la question raciale revient au coeur des commentaires politiques à quelques jours de la possible (et probable) accession d’un candidat métis (donc noir dans l’imaginaire américain) à la Maison Blanche. « Ce n’est pas sur un ouragan. C’est sur l’Amérique » prévient l’affiche du film. Alors que les relents racistes sont réactivés par des Républicains peu scrupuleux qui sentent venir une défaite historique dans les urnes et que les analystes tentent de mesurer la part des Blancs qui affirment par bonne conscience aux sondeurs qu’ils soutiennent Barack Obama mais qui voteront John McCain, « Trouble The Water » rappelle que le rêve d’Amérique post-raciale n’est pas encore d’actualité. Dans le film, une femme en pleine détresse fait le terrible constat de ne pas avoir de gouvernement et refuse que son fils parte rejoindre l’armée pour servir un pays qui les ignore. Propos très fortement applaudis dans la salle, quasi-unanimement blanche. L’Amérique prise en flag de non patriotisme. Le malaise était palpable.

Paradoxalement, c’est quand le film prétend traiter les carences des systèmes éducatif, social et pénitentiaire en Louisiane qu’il échoue. Le propos reste un peu trop en surface malgré toutes les bonnes intentions répétées par Tia Lessin lors du débat après la projection. Au fond, le film par lui-même dit beaucoup sur les Etats-Unis mais est affaibli par ses réalisateurs qui le transforment maladroitement en exposé anti-Bush. On en retiendra quand même l’essentiel : le cri de colère d’une population qui devrait se déplacer massivement aux urnes le 4 novembre pour se faire enfin entendre.

Ivres de débats

Il faut dire ici ce qu’on ne lit pas dans les journaux. Savez-vous à quoi s’amusent les jeunes Américains pro-démocrates quand ils regardent entre amis un débat vice-présidentiel Joe Biden/Sarah Palin à la télé ? La « watch party » vire au « drinking game » (jeu où l’on boit) : à chaque fois que Sarah Palin prononce le mot « Maverick » (c’est-à-dire toutes les deux phrases), hop, on avale tous ensemble une bonne gorgée de bière. Une manière de se moquer de ce « Maverick » ridiculeusement appliqué à toutes les sauces pour décrire le candidat républicain John McCain.

Maverick, c’est lui

Pour info (glanée sur le blog de la correspondante du Monde aux USA, Corine Lesnes), « Maverick » vient de Samuel Augustus Maverick, un rancher du Texas des années 1840 qui refusait de marquer son bétail, ce qui fut perçu comme la marque de son indépendance d’esprit. John McCain aime à se faire appeler le « Maverick » car il est connu pour ses prises de distance avec son propre parti. C’en est devenu l’un de ses slogans de campagne (l’idée de faire passer les intérêts de la nation avant ceux du parti républicain), un slogan tellement martelé par Sarah Palin qu’il en devient risible, et donc très buvable.

Mes amis progressistes qui se gaussent de ce « Maverick » galvaudé s’en sont donnés à coeur joie lors du débat jeudi dernier. Agacé par cet emploi constant de « Maverick » par sa rivale, Joe Biden s’est soudainement emparé de ce terme en l’employant de nombreuses fois dans une tirade bien sentie où il explique aux électeurs que non, John McCain n’est pas un « Maverick » puisqu’il a voté au Sénat dans le sens de George W. Bush et des républicains le plupart du temps. Autant dire qu’à la fin du débat, tout le monde était rond comme une queue de pelle.

Madeleine Albright, pour rire

D’habitude, pendant les meetings politiques et autres « réunions publiques », vient nécessairement le moment où on s’ennuie, de gentiment à ferme. Au micro, trop de formules faciles, trop de slogans rabâchés. De la part de l’orateur, pas assez d’improvisation, pas assez de singularité. Le militant applaudit bien quand il faut, le journaliste note bien consciencieusement dans son calepin.

Appelez Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’Etat de Bill Clinton, et tout cette machine bien huilée vole en éclat. Là voilà qui débarque énergiquement ce jeudi dans la petite salle (sur le campus de Missouri University), attrape le micro du haut de ses trois pommes, se tient debout à côté du pupitre plutôt que sagement derrière, et commence son show, sous les applaudissement chaleureux de l’audience.

Faussement modeste, elle nous remercie de savoir qui elle est. Et de raconter avec aplomb sa drôle d’anecdote survenue récemment lorsqu’un agent de sécurité, ne l’ayant pas reconnue, ne la laissait pas entrer dans la salle où son discours de soutien à Barack Obama était attendu. « Oh my god it’s you« , s’était-il exclamé quand Madeleine Albright avait enfin lâché son nom. L’agent, d’origine bosniaque, avait alors exprimé de l’admiration pour son action en Bosnie-Herzégovine dans les années 1990. « Mais, que se passe-t-il au juste ici aujourd’hui ? » lui demandait-elle. « Oh, vous savez, j’ai été secrétaire d’Etat, alors on me sollicite pour soutenir un candidat« . « Ah, secrétaire d’Etat ! De Bosnie ? » Fou rire général dans la salle.

En fait, on a beaucoup ri pendant les 45 minutes d’intervention de Madeleine Albright. Venue soutenir Barack Obama, elle a multiplié les blagues de politique étrangère, son dada.

« Le monde est en pagaille, euh.. c’est un terme diplomatique »

« Le président Poutine, oh pardon, le Premier ministre Poutine »

« J’ai travaillé avec Bill Clinton… qui lisait beaucoup lui »

« Toute ma vie, j’ai été une experte de l’URSS. Quand je regarde ma bibliothèque je me dis, ah en fait je faisais de l’archéologie ! »

« Pour moi, la diplomatie c’est comme une partie de billards, il y a beaucoup d’imprévus sur la table.. Enfin, bien qu’un étudiant chinois en classe me certifie qu’il n’y a aucun imprévu au billard, euh.. pas comme je le vois joué autour de moi ! »

« Un président sûr de lui c’est quelqu’un qui ne sait même pas ce qu’il ne sait pas »

A un homme qui lui demande les qualités nécessaires pour considérer un candidat expérimenté en politique étrangère, elle répond du tac-au-tac : « Avoir un passeport ! » (ndlr, Sarah Palin, colistière de John McCain, n’en serait détentrice que depuis l’an dernier)

Les blagues étaient peut-être parfaitement rodées et prévues comme du billard chinois. Mais qu’importe. Le fait est que, cette fois, on a enfin pensé au besoin vital de rire du militant et du journaliste. Du fond du coeur, merci Madeleine pour ta gouaille.

Il était une fois… Sarah Palin

Mercredi soir, je faisais mon jogging sur un tapis roulant de la salle de gym, le regard fixé vers l’écran de télé où CNN commentait l’arrivée de Sarah Palin à l’aéroport de Fairbanks, en Alaska. C’était le grand retour à la maison de la candidate à la vice-présidence après la convention républicaine de Saint-Paul et quelques meetings dans le pays avec son colistier John McCain. C’était la première fois que Sarah Palin rentrait chez elle depuis son accession au rang de nouvelle star des Etats-Unis. Et donc, elle était attendue de pied ferme. La foule se pressait sur le tarmac, chantant « Sarah », cette héroïne qui allait enfin sortir la (faible) population d’Alaska de l’indifférence générale. Et CNN de rappeler en boucle, avant que l’avion n’aterrisse, comme cet instant était historique dans la vie politique américaine. Au point que le suspens devenait haletant : je ne pouvais plus décrocher mon regard de l’écran,

La veille, je courais sur le même tapis, les yeux fixés vers le même écran. Les commentateurs politiques se succédaient sur CNN et ils n’avaient qu’un seul nom à la bouche, décliné à toutes les sauces : Sarah Palin. L’effet Palin, le phénomène Palin, le mystère Palin. L’impressionnant come back (sondages prometteurs, moral en hausse…) des Républicains dans la campagne depuis sa nomination. Sa biographie digne d’un film hollywoodien (concours de beauté, compétitions de basketball…) passée au peigne fin par une presse qui commençait à manquer de sujets sur la présidentielle. Les interrogations qu’elle suscite sur des sujets controversés (avortement, créationnisme) pour lesquels elle ne s’est pas encore clairement expliquée. On ne parlait que de Sarah Palin ce soir-là. Comme la veille. Et comme le lendemain.

Sarah Palin (Photo : AP)

En fait, on ne parle plus que de Sarah Palin ici. Elle fait la une des journaux, des magazines. Newsweek titrait récemment sur une nouvelle science, la « Palinologie ». En quelques jours, elle est devenue le phénomène médiatique de la rentrée. Elle a ringardisé Barack Obama, qui semble pris de court, ne sachant plus comment attirer l’attention qu’on lui a généreusement porté pendant 18 mois, s’emmêlant les pieds dans des histoires de cochon et de rouge à lèvres. Elle a éclipsé Joe Biden, qui paraît bien fade, voire transparent, loin de sa réputation de boute-en-train.

On dirait que Sarah Palin est candidate à la Maison Blanche. John McCain lui-même semble relégué au second plan. Mais il se frotte les mains, relançant habilement une campagne qui n’inspirait pas les Républicains. Choisir Sarah Palin comme colistière était un pari audacieux, il s’avère payant. Les Américains aiment se raconter des histoires « bigger than life », en voilà une sur mesure. Une mère courage venue du grand froid qui élève 5 enfants, dont le dernier atteint d’une maladie génétique. Une femme battante qui chasse le caribou, fait plier les barons locaux et s’impose comme gouverneur de l’Alaska à la surprise générale. Une conservatrice qui travaille d’arrache-pied pour restaurer la morale, sa morale, en politique. Tous les ingrédients d’une « success story » improbable sont réunis. Improbable, mais pas impossible. Scénario à suivre, donc.

Joe Biden, passage obligé à Columbia

Et donc Joe Biden, colistier de Barack Obama, vint à Columbia, MO. Drôle d’horaire (ce mardi matin à 9h30 !), drôle de lieu (un gymnase complètement excentré, à 1 heure de marche pour les Français qui sont bien les seuls à ne pas se déplacer en voiture), drôle d’acoustique (un écho terrible recouvrait les paroles du candidat), drôle d’ambiance (de peu chaleureuse à carrément froide). Mais enfin, Joe Biden vint, et discourut pendant une bonne heure. Il y avait même la place pour les questions du public, hop on lève la main, on pose sa question et Joe répond, debout au milieu de l’assistance.

Photo : Charlotte Pudlowski

Mais pourquoi diable Joe Biden s’est-il déplacé jusqu’à Columbia, Missouri ? Je ne le savais pas avant de venir ici mais le Missouri est l’un des quelques « swing states » des Etats-Unis, enclin à voter Démocrate ou Républicain selon les enjeux et les millésimes. Aussi, depuis un siècle, jamais un président n’a été élu sans gagner le Missouri. Enfin, presque, car une exception confirme cette règle : en 1956, le président républicain Dwight Eisenhower fut reconduit alors que le Missouri avait voté pour son adversaire démocrate, Adlai Stevenson.

Et puis, Columbia est situé dans le comté de Boone, l’un des terrains les plus disputés du Missouri. En 2000, Al Gore avait remporté le comté avec 385 voix d’avance (sur 60.000) ; quatre ans plus tard, George W. Bush reprenait l’avantage avec 158 voix de plus (sur 76.000) que son adversaire John Kerry. Car si la ville de Columbia est largement acquise aux Démocrates, les alentours sont peuplés d’électeurs conservateurs, rendant l’issue de chaque scrutin incertaine.

On comprend ainsi que pour une élection qui s’annonce beaucoup plus serrée que prévu (Barack Obama et John McCain sont désormais au coude-à-coude dans tous les sondages), charmer le Missouri, et notamment le comté de Boone, est un « must have« . Pour la petite histoire, le Missouri est surnommé le « Show Me State » (l’Etat « Montre-moi ») car ses habitants ont la réputation d’être têtus et de ne croire que ce qu’ils voient. Joe Biden avait donc de bonnes raisons de se montrer ici ce matin.

Howard Dean sans chichi

Howard Dean était samedi matin sur le campus de Mizzou (petit nom de University of Missouri).

Howard Dean est le chef du comité national du Parti démocrate. C’est donc, disons pour faire court, l’équivalent de notre François Hollande national. Il fut aussi gouverneur de l’Etat de Vermont, dans le Nord-Est des Etats-Unis, quand d’autres dirigent le Conseil général de Corrèze, dans le ventre de la France. Et il fut candidat malheureux aux primaires démocrates pour la présidentielle de 2004, à relativiser devant la frustration d’échouer au poste de Première Dame de France. Je m’égare…

Howard Dean, donc, était samedi matin sur le campus de Mizzou. Une étape parmi tant d’autres sur la longue route des campus américains qu’entreprend Howard Dean à bord de son bus bleu « Register For Change » (« Inscrivez-vous pour que ça change »). Car les Démocrates ont fait leur compte : cette fois, pour gagner, ils doivent absolument faire venir aux urnes les primo-votants, ces nouveaux électeurs plus enclins à voter Obama mais qui, par flemme ou simple oubli, ne s’inscrivent pas sur les listes à temps. Le président des College Democrats de Mizzou ne cesse de le répéter avec un ton grave : « Without first-time voters, Obama is not going to win« . Etudiants, vous êtes prévenus !

Le président des College Democrats de university of Missouri

L’ambiance ce matin était très bonne franquette, provinciale allais-je dire mais disons-le malgré le politiquement correct. Howard Dean est descendu de son bus comme si je descendais de ma voiture, sans chichi. Ah si, il y avait quand même Bruce Springsteen (« The Rising« , véritable hymne des Démocrates) à fond dans la sono. Et une centaine de personnes (peut-être 150) qui attendaient, pancartes à la main. Son discours fut efficace, s’attardant sur les problèmes économiques et sociaux, la précarisation des étudiants (forcément) et l’absence de couverture maladie universelle, thèmes largement applaudis.

Howard Dean

Et puis, Howard Dean s’est longuement arrêté sur l’image (désastreuse) des Etats-Unis dans le monde depuis l’invasion en Irak, rappelant qu’il était temps pour Washington de rétablir « l’autorité morale » du pays sur la scène internationale. Il a rendu un vibrant hommage aux « idéalistes » Truman, Kennedy, Johnson, et Clinton par opposition aux « cyniques » présidents républicains. Il rappela au passage que, selon lui, l’Union européenne prospère, les négociations au Proche-Orient et la paix en Irlande du Nord étaient l’oeuvre de présidents démocrates à l’autorité morale suffisamment forte pour rassembler autour de la table des leaders prompts au changement. Et d’annoncer fièrement que deux nouvelles catégories d’électeurs d’habitude acquis aux Républicains devraient cette fois se ranger aux côtés des Démocrates (ou des idéalistes donc) : les militaires, déprimés par l’Irak, et les businessmen expatriés, qui souffrent de la mauvaise image de leur pays quand vient l’heure de signer des contrats.

Comme on est aux Etats-Unis, Howard Dean était très à l’aise, genre je-suis-en-polo-et-je-lis-même-pas-mes-notes. Après son discours, il s’est naturellement plié au jeu des photos dans la foule, une tape sur l’épaule, une blague avec le voisin, un clin d’oeil à la dame. Quand en France, le sourire fait forcé, ici il passe parfaitement. Les étudiants surexcités de poser avec Howard Dean jetaient leurs appareils photo au garde du corps qui s’exécutait sans broncher.

Mais les étudiants n’étaient pas les seuls réveillés ce matin. Les vieux routiers que l’on croise à chaque meeting avaient bien sûr fait le déplacement.

J’ai attrapé Howard Dean avant qu’il ne remonte dans son bus pour lui demander ce que l’élection de Barack Obama changerait dans les relations franco-américaines. Il m’a répondu que, premièrement, celles-ci s’étaient déjà pas mal réchauffées depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy et son engagement à gagner la guerre contre le terrorisme (aux USA, Sarkozy a, est-ce vraiment surprenant, autant la cote auprès des Démocrates que des Républicains, ndlr). Et que, deuxièmement, pour faire court, les relations ne pourraient qu’être meilleures avec Barack Obama, bien décidé à collaborer avec ses alliés.

Merci Howard, et bon trip !