Quand l' »humanisme » légitime le néocolonialisme

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Edifiant numéro du magazine « Pièces à conviction« , diffusé dimanche soir (6 janvier) sur France 3, consacré à la catastrophique « opération humanitaire » menée par l’Arche de Zoé au Tchad à l’automne dernier. A la vision du document réalisé par la journaliste Marie-Agnès Pèleran (cultivant l’ambiguité d’avoir été à la fois journaliste sur place et l’une des mères d’accueil des prétendus « orphelins du Darfour »), et plus encore par la contre-enquête réalisée par France 3 et le témoignage sur le plateau d’Estelle Frattini, autre mère d’accueil contrariée, c’est un sentiment de colère et de honte qui prit le téléspectateur. Au fond, il apparaît évident que l’unique et très court argument, sans cesse répété par les défenseurs d’Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch pour justifier leurs actes inadmissibles, se fonde sur l' »humanisme » dont étaient épris les initiateurs du projet. Humanisme naïf, humanisme aveugle, humanisme coupable, en vérité, car cette belle idée d’humanisme, déclinée en véritable religion de l’humanitaire, en vogue parmi ceux qui s’époumonnent à vouloir « sauver les enfants d’Afrique » n’a que faire d’une réalité humaine toute simple, aux antipodes de postures idéologiques : un enfant, Tchadien ou Soudanais, orphelin ou pas (la question n’est même pas là), n’a pas à être enlevé par des étrangers à l’insu des autorités d’un pays puis rappatrié dans un autre pays où l’on suppose, avec autant de hâte que de maladresse, qu’il y vivra plus heureux. A cela, il n’existe aucun argument valable et raisonné à opposer.

Ce propos ne remet évidemment pas en cause, de façon générale, le travail de long terme de certaines ONG sérieuses qui opèrent sur le terrain des missions d’aide au développement parfaitement légitimes dans des pays en grande difficulté.

En comparaison, quelle légitimité autorise Eric Breteau et Emilie Lelouch à affirmer que la France est un meilleur terrain d’avenir pour ces enfants « en détresse » ? Estelle Frattini se dit convaincue, sans sourciller, face à une Elise Lucet consternée, qu’elle ferait une meilleure mère pour l’enfant qu’elle devait accueillir que celle qui l’élève depuis sa naissance, quitte, à gros traits, à le lui arracher. De sa bouche, on comprend à demi-mots que, c’est à peine exagéré, « les Africains n’ont pas les ressources suffisantes pour faire s’épanouir ses petits ». Balayé du revers de la main, l’amour que peut recevoir un petit Africain de ses parents. Celui-là ne compte pas vraiment en terrain pauvre. Emilie Lelouch, dans le document de Marie-Agnès Pèleran, lâche carrément le morceau : « ce sont des Noirs, on est un peu dépassé, on ne peut pas comprendre leurs critères pour élever un enfant ». Comprendre : « l’amour parental chez les Noirs, c’est pas pareil que chez nous ». Ce qui sous-tend ces affirmations fallacieuses n’est ni plus ni moins que du racisme au sens où elles établissent implicitement une hiérarchie européocentrée des « races » (notion dont les scientifiques ont depuis longtemps démontré qu’elle n’avait aucun sens), les Blancs étant dotés d’une éducation supérieure qui légitimerait parfaitement une mission civilisatrice au sein de peuplades arriérées.

En clair, on reprend exactement la même idéologie qui a prévalu à la course au colonialisme menée par les Etats européens au cours des 19 et 20ème siècles. C’est comme si aucune réflexion n’avait été menée depuis les propos de Jules Ferry adressés devant la Chambre des Députés en 1885 : « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».

L’Arche de Zoé voulait, par son « projet humanitaire », « civiliser » des enfants unilatéralement déclarés en situation de détresse. La fin justifiant les moyens, Eric Breteau et Emilie Lelouch se sont outrageusement permis de maquiller l’identité de ces enfants, faisant croire à des orphelins alors qu’ils avaient vu, pour certains, les parents de leurs propres yeux, et ils leur ont caché jusqu’au dernier moment le but ultime de l’opération, l’enlèvement vers l’Europe. Voilà, au nom de la « mission civilisatrice », ce que ces individus peu scrupuleux ont été prêts à faire. Rappelons-nous que c’est au nom de cette même « mission civilisatrice » que les grands empires coloniaux européens irent jusqu’à piller les ressources et diviser les nations dans une Afrique qui paie encore les lourds tributs de ces décennies d’exploitation.

Ne pas céder à l’angélisme et garder son sens critique à l’évocation du terme « humanitaire », désormais galvaudé, voilà ce que proposait l’émission de France 3 (consultable sur le site Internet de la chaîne et rediffusée dimanche prochain, le 13 janvier, à 20h50 sur France 5). Et, passées la colère et la honte, cela faisait du bien.